Saber Interactive redevient indépendant
C'était une rumeur depuis quelques semaines, c'est désormais officiel : Embracer a revendu sa filiale Saber Interactive à Beacon Interactive, une société dirigée par l'un des cofondateurs de Saber, Matthew Karch.
De THQ à Embracer
Comme ce sujet n'a pas été pleinement évoqué sur JeuxOnline, je vous propose une contextualisation de l'évolution d'Embracer. Notre histoire commence en 2011 par la fondation de Nordic Games, un petit éditeur autrichien, par plusieurs investisseurs dont Lars Wingefors, actuel PDG d'Embracer et principal actionnaire du groupe.
L'éditeur grossit progressivement, majoritairement par des rachats. Il profite de la faillite de THQ pour obtenir certaines licences de l'éditeur ainsi que son nom, qu'il exploite pleinement en devenant THQ Nordic en 2016. Ce n'est cependant que le départ d'une vague de rachats qui ne fait que s'amplifier : Coffee Stain et KOCH Media en 2018, Saber Interactive en 2020, Asmodee, Dark Horse Media et Gearbox en 2021, Crystal Dynamics, Eidos Montréal et Middle-Earth Entreprise en 2022, pour ne citer qu'une toute petite partie des achats du groupe, rebaptisé Embracer début 2020.
Cette politique a été financée par l'émission d'actions ainsi que par l'endettement. Il faut dire que le contexte était particulièrement favorable, en raison des taux d'intérêts négatifs et des revenus records du secteur pendant la pandémie, poussant de nombreux investisseurs à s'y insérer.
Gueule de bois
Seulement voilà : le contexte est désormais aussi défavorable qu'il était positif en 2020-2021. La fin des mesures anti-covid a diminué l'engagement des joueurs. L'inflation a aussi incité ces derniers à être moins dépensiers et, surtout, à se tourner davantage vers les marques les plus connues. Les gros jeux génèrent des revenus records - les success story récentes sont nombreuses, de Hogwarts Legacy à Helldivers 2 en passant par Palworld, pour n'en citer que quelques-uns -, mais les jeux aux budgets et aux ambitions plus réduits, le cœur de métier d'Embracer, ont davantage de difficultés.
De même, la hausse des taux d'intérêt a un double impact pour le groupe désormais basé en Suède. Premièrement, elle a nettement tari les investissements dans le secteur du jeu vidéo. Deuxièmement, elle force l'éditeur à payer beaucoup plus cher les emprunts effectués pour financer ses acquisitions et ceux noués maintenant pour maintenir ses opérations et refinancer sa dette. L'échec d'un accord de plus de deux milliards de dollars avec un fonds d'investissement lié à l'Arabie Saoudite, déjà un des principaux actionnaires du groupe, a forcé ce dernier à prendre des mesures radicales.
Embracer est loin d'être le seul éditeur affecté par ce contexte. Ce dernier explique les très nombreux licenciements qu'a connu l'industrie du jeu vidéo depuis l'an passé : plus de 8000 emplois ont été supprimés depuis le début de l'année 2024, auxquels il faut ajouter les 10 500 jobs concernés en 2023. Et c'est loin d'être terminé : 2024 devrait être une année extrêmement difficile pour l'industrie, les éditeurs et les studios de développement souhaitant surtout survivre avec le moins de dommages possibles, en espérant de meilleures conditions en 2025.
"...the focus for developers should be on making sure they've got the money to see them through the year."
— Mat Piscatella (@MatPiscatella) February 19, 2024
Survive to '25. https://t.co/9aH7NBPmmL
Confronté à cette situation difficile, comme tant d'autres, Embracer a démarré l'an passé un important programme d'économies, licenciant une partie des effectifs de certains studios et en fermant d'autres.
Embracer Group Graveyard since June
— MauroNL (@MauroNL3) December 13, 2023
- Campfire Cabal (Closed)
- Volition (Closed)
- Crystal Dynamics (10 staff)
- Beamdog (26 staff)
- Zen Studios (30 staff)
- Digic (35 staff)
- New World Int. (Layoffs)
- Free Radical Design (Closed)
- Fishlabs (50 staff)
- Cryptic (Layoffs) pic.twitter.com/MqtSNlnSz6
Au total, 1 387 emplois, soit 8% du total que comptait Embracer avant le début du programme, ont été supprimés entre juin et décembre 2023. Ce n'est cependant pas terminé ; citons notamment le cas de Piranha Bytes, qui semble encore en suspens. Et, donc, Saber Interactive.
L'opération
Embracer a annoncé aujourd'hui la vente de Saber Interactive à Beacon Interactive, une structure dirigée par Matthew Karch, un des cofondateurs de Saber. Cela semble donc être un moyen pour l'ancienne filiale d'Embracer de retrouver son indépendance et d'échapper au plan de restructuration, tout en permettant à leurs anciens dirigeants de réduire leur endettement et leurs coûts de fonctionnement.
Concrètement, la vente concerne Saber et une partie des studios faisant actuellement partie de la filiale :
- Tous les studios ayant "Saber" dans leur nom (Saber possède plusieurs studios, situés dans différents pays du monde).
- Nimble Giant
- DIGIC
- Fractured Byte
- Sandbox Strategies
- Mad Head Games (Scars Above)
- Slipgate (Graven)
- New World Interactive
- 3D Realms (Ion Fury)
Ces studios embarquent avec eux toutes les licences sur lesquelles ils ont ou sous en train de travailler. Beacon Interactive paie 247 millions de dollars pour cela, plus un montant additionnel pouvant aller jusqu'à 94 millions de dollars en cas de revente de Saber, d'un de ces studios ou d'une de ces licences par Beacon Interactive et de respect de certaines conditions, qui ne sont pas précisées.
Par ailleurs, Beacon Interactive peut aussi acheter ultérieurement Zen Studios (notamment connu pour ses jeux de flipper, dont, au hasard, Star Wars Pinball) et 4A Games. Concernant ces derniers, Embracer précise que la licence Metro, pour laquelle ils sont principalement connus, demeurera leur propriété, via leur filiale Plaion. Le prix d'un éventuel achat de Zen Studios et 4A Games par Beacon Interactive a déjà été défini, mais n'a pas été révélé. Les autres filiales actuelles de Saber Interactive, dont Aspyr et Triwpire Interactive, demeureront au sein du groupe Embracer. Le rachat de Zen Studios et 4A Games semble déjà avoir été acté par Matthew Karch, la conclusion différée de cette partie de la vente est donc probablement liée à des raisons financières.
Le juste prix
La somme payée par Beacon semble bien inférieure à ce qu'a payé Embracer pour acheter ces différents studios. Rien que pour Saber Interactive, le groupe suédois annonçait payer 525 millions de dollars en 2020. Cette somme comprenait cependant 150 millions en cash et 375 millions de bonus basés sur la performance du groupe ; il est donc difficile de savoir combien a exactement été payé.
Il faut y ajouter les huit autres studios, dont le prix d'achat initial par Embracer n'a jamais été révélé. Il semble cependant impossible que le groupe de Lars Wingefors n'ait pas réalisé une perte sèche entre les montants investis à l'origine et ceux récupérés aujourd'hui. Comment l'expliquer ?
Par le contexte cité plus haut, en premier lieu. C'est d'autant plus vrai que Saber Interactive est spécialisé dans le travail pour d'autres éditeurs, comme World War Z ou la série des Mudrunners, dont le tout récemment sorti Expeditions: A MudRunner Game, pour Focus Home Interactive. En période délicate sur le plan économique, on imagine que c'est le genre de projets qui est arrêté en premier.
Deuxièmement, Saber Interactive était un des principaux employeurs d'Embracer : 2 950 personnes sont concernées, soit 6% du nombre total d'employés du groupe. Cela implique des coûts élevés, qui n'étaient visiblement pas très rentables :
Il est notamment intéressant de constater qu'Embracer conserve la moitié du chiffre d'affaires de son ancienne filiale, mais de loin la partie la plus rentable, ce qui s'explique notamment par un nombre d'employés nettement plus faible. Toutefois, ces chiffres ne couvrent que l'année 2023, ce qui peut être trompeur, surtout qu'Embracer a intérêt à rassurer ses investisseurs en leur montrant cette vente de la manière la plus favorable possible. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le communiqué de l'éditeur suédois a pour titre "Embracer Group cesse toute activité en Russie par la cession de certains actifs de sa division Saber Interactive."
Sur le papier, Embracer vend donc une de ses parties les moins rentables - à perte -, lui permettant de se concentrer sur ce qui fonctionne en limitant les sacrifices à faire les concernant. Néanmoins, Saber était aussi l'un des principaux contributeurs du chiffre d'affaires de sa maison-mère.
Et après ?
Saber pourrait ne pas être la dernière vente du groupe. En effet, des rumeurs évoquent que Gearbox, acheté 2021 pour 1,3 milliards de dollars en comptant les bonus, connaîtra prochainement le même sort.
Au terme de cette phase de restructuration, Embracer Group aura donc sérieusement maigri. Il faudra cependant espérer pour le groupe suédois que ces deux ventes marqueront la fin de cette phrase et qu'elles permettront au groupe de retrouver rentabilité et croissance.
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Activités | Développeur de jeux vidéo |
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Création |
2001 (États-Unis d'Amérique) |
Pays d'origine | États-Unis d'Amérique |
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